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Soumaïla Traoré : « J’ai décidé de vivre sans mendier »

mardi 23 septembre 2014, par Administrateur

Jeune, dynamique, enthousiaste, courageux, persévérant, confiant, bref ! Il n’y a pas assez de qualificatifs pour présenter notre interviewé, Soumaïla Traoré, tant son défi contre son handicap ainsi que son engagement au service des personnes handicapées sont énormes. Véritable porte-parole des personnes souffrant d’un handicap au Burkina Faso, il se confie au faso.net dans un ton décontracté.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Soumaïla Traoré (ST) : Je me nomme Soumaïla Traoré, je suis Secrétaire Chargé auprès de la Fédération Burkinabè des Associations pour la promotion des personnes Handicapées (FEBAH) et Chargé de programme. Aussi, je suis Secrétaire Permanent de l’Association des Elèves et Etudiants Handicapés du Burkina (AEEHB).

Lefaso.net : Quelle est votre activité principale rémunératrice actuellement ?

ST : Quand on me demande quelle est mon activité principale rémunératrice actuellement, je dirai tout simplement que je n’ai pas d’activité rémunératrice ou que je vis tout simplement grâce aux deux structures citées plus haut. En somme, je n’ai pas d’activité rémunératrice et j’ai décidé de vivre sans faire la manche (sans mendier) et ce sont mes amis en Europe et ailleurs qui cotisent pour moi. J’aurais voulu que ma prise en charge vienne de l’exercice d’une activité rémunératrice ou bien de mon pays, le Burkina Faso, car c’est quand même un train de mon pays qui m’a mis dans cette situation. Le jour peut-être où je ne serai plus de ce monde, on mettra sur ma tombe une médaille du courage national en disant : « merci pour tes efforts » à titre posthume.
Il y a une année de cela je suis tombé gravement malade et il me fallait plus de 300.000fcfa pour me soigner et comme je n’avais pas d’argent sous la main (je parle comme si j’avais une main, rires), j’ai fait appel à mes amis en France, cela a été un déclic et me fait réfléchir à chaque instant. Le discours était comme ci : « Ismaël, nous te payons la chambre, ta nourriture, nous t’offrons un fauteuil roulant électrique et les réparations et l’entretien, tes soins et même tes vêtements ; finalement qu’est-ce que ton pays fait pour toi ? Est-ce à dire que tu n’es pas un enfant, un fils du Burkina-Faso ? » ; Je vous laisse deviner la suite !

Lefaso.net : Pouvez- vous nous parler de votre handicap ?
ST :
C’est à l’âge de deux (02) ans que ma vie a basculé comme dans un film d’horreur pour mes parents. C’est le trois (03) mars 1981, à la gare de train de Maro (localité située à une centaine de kilomètre de Bobo-Dioulasso, la ville où j’ai passé la plupart de mon enfance) que la chance, ou le destin a voulu que je rencontre ce train sur ma route. Et voilà le résultat !

Lefaso.net : Est-ce que vous vous sentez marginalisé ?
ST :
Bien sûr que je me sens marginalisé. C’est comme si après l’accident, Dieu m’avait lancé un défi et ainsi qu’à tous les habitants ou gouvernement du Burkina Faso. C’est ainsi que je vois les choses ou que je me les explique. Dieu : « cet enfant fera un accident et il survivra par miracle comme beaucoup d’autres dans le monde ; ce qu’il deviendra plus tard ne dépendra que de sa communauté ; s’il souffre ça sera à cause d’elle (pays, société, population) et s’il a le bonheur, ça sera grâce elle ! ». De ce point de vue, est ce que je n’ai pas assez fait pour que :
  Les bus, les cars, les taxis, le train et l’avion qui circulent dans nos villes, villages et campagnes puissent être adaptés ou accessible pour les personnes handicapées,
  Les voiries, les trottoirs et les espaces publiques soient accessibles à ma situation ; beaucoup s’étonnent de me voir circuler sur la partie de la voie dédiée aux véhicules, c’est juste que les pavés sont mal faits,
  Il y ait des écoles, établissements, universités et instituts accessibles, de même que des bourses pour personnes handicapées,
  Il y ait des fonds pour financer et soutenir la création d’entreprises des personnes handicapées et ce quel que soit le montant,
  On me permet de subvenir à mes besoins élémentaires le plus dignement possible à travers un emploi rémunéré et décent,
  Je puisse avoir accès à la terre, aux logements, à la santé…
C’est peut-être certainement que je n’ai pas droit à la vie ou peut-être que je ne suis pas Burkinabè ou que je ne mérite pas d’être heureux ! Vous en pensez quoi ? Je pense que toi tu as plus de chance d’avoir facilement accès à tout ça ; quand tu sors de ta maison pour te rendre dans un lieu quelconque, tu peux prendre le bus ou le taxi avec au maxi 300 FCFA et si c’est moi ça sera impossible avec mon fauteuil, car les normes de nos sociétés sont faites à l’image du corps dit parfait, la personne en situation de handicap n’a pas le droit de cité, elle est juste là pour la forme.
Voilà ! C’est ce que je ressens comme discrimination ! On me dit que si vous êtes comme ça (personne en situation de handicap) c’est la faute à personne, pour ne pas dire à Dieu ; or les règles qui encadrent la vie de nos pays aujourd’hui ne sont nullement dictées par Dieu. Ce n’est pas Dieu qui construit les voies, qui partage les parcelles ou les ressources minières, qui crée l’accès à l’emploi ou à la bourse, à l’éducation ou à la formation, qui finance donc nos projets. Ce sont les hommes qui fixent les normes ou les conditions, donc ils peuvent bien prendre en compte les besoins de tous les citoyens notamment ceux des personnes handicapées.
Je pouvais comprendre cette situation s’il n’y avait pas de mécanismes ou d’aménagements raisonnables permettant à tous les citoyens du Burkina Faso de se sentir chez lui, de vivre ensemble malgré nos différences physiques ou autres, cette différence physique ne doit pas être une limite ou un obstacle mais plutôt une richesse de la société comme la culture, l’art, la coutume ou la religion… Je terminerai par cette citation : « la meilleure manière de mesurer le progrès moral d’une société, c’est de voir comment cette société traite les personnes handicapées ».

Lefaso.net : Présentez-nous la FEBAH
ST :
Créée en 1992, la Fédération Burkinabè des Associations pour la Promotion des Personnes Handicapées (FEBAH) a pris un tournant décisif depuis le 14 Décembre 2006. Elle est dirigée par un Conseil d’Administration. 350 associations de personnes handicapées sont regroupées en 4 grands ensembles à savoir :
  Les personnes déficientes intellectuelles,
  Les personnes déficientes auditives,
  Les personnes déficientes visuelles,
  Les personnes handicapées motrices.

Lefaso.net : Quelles sont les activités majeures de votre association ?
ST :
En fonction de son but et de ses objectifs, la FEBAH dans le courant de l’année a réalisé des activités sur 4 axes stratégiques à savoir :
La promotion des droits des personnes handicapées,
La promotion de l’emploi des personnes handicapées,
La promotion de la santé des personnes handicapées,
La coordination et le suivi de la mise en œuvre des activités par les structures de base.

Lefaso.net : Quelles sont les motivations à la base de la création de l’association ?
ST :
C’est dans l’objectif de promouvoir un développement qui inclut les préoccupations des personnes handicapées. L’on peut citer entre autres :
• Favoriser une expression des personnes handicapées en vue de leur pleine et active participation au développement économique, social et culturel du pays.
• Regrouper en son sein toutes les organisations des personnes handicapées.
• Veiller à la bonne marche des associations membres et le renforcement de leur capacité à réaliser leur propre programme
• Coordonner les activités des associations des personnes handicapées et favoriser l’échange d’informations et d’expériences tant sur le plan national, qu’international ;
• Sensibiliser les personnes handicapées afin qu’elles s’investissent dans le travail en vue de leur autopromotion
• Promouvoir les relations entre les différentes associations au niveau national et international.

Lefaso.net : A ce jour, avez-vous trouvé satisfaction dans votre lutte pour le bien-être des personnes handicapées ?

ST : Aujourd’hui je ne peux pas dire que nous sommes satisfaits tant qu’il y a encore beaucoup de choses à faire. Notre plaidoyer a permis d’adopter des lois et de signer des conventions. Les écoles spécialisées ont eu un soutien de l’Etat, les concours de la fonction publique sont ouverts aux personnes handicapées, des microcrédits de 300 000 FCFA/ personne ont été octroyés à certains. La prise en compte des personnes handicapées dans la Politique Nationale de la Jeunesse et des activités du ministère de la santé est aussi effective. Il faut saluer toutes ces actions mais cela reste très insuffisant pour sortir les personnes handicapées de la pauvreté car l’Etat burkinabè a résumé la vie ou si vous vous voulez, a cantonné, confiné ou encore emprisonné les personnes handicapées dans les associations ou les ONG. Cela pour moi est inadmissible ! Beaucoup d’entre nous souffrent de cette situation. J’ai vu des étudiants handicapés devenir fous par manque de soutien à l’université de Ouagadougou. D’autres ont abandonné les cours pour se mendier ou encore, d’autres qui ont reçu des formations en entreprenariat et des métiers, qui ont des projets bien écrits ou des idées innovantes pour s’en sortir, sont laissés pour compte car ils n’ont pas de financement or ce n’est pas l’argent qui manque au Burkina Faso. L’être humain est créé pour être autonome. C’est cette indépendance qui lui confère la dignité, l’envie de vivre…

Lefaso.net : Aujourd’hui vous êtes l’un des porte-paroles des personnes en situation de handicap, quel est votre cri de cœur à l’endroit de ces personnes ?

ST : Je leur dirai de s’unir et de ne jamais cesser de se battre pour réaliser leur rêve. Il est vrai que la vie ne fait pas de cadeau et pour nous autres vulnérables, il faut aller puiser au fond de notre être la force, l’énergie positive nécessaire pour surmonter les difficultés quotidiennes de la vie. Celui qui craint de souffrir souffre déjà de ce qu’il craint. Ayez foi en vous, ne baissez jamais les bras et n’abandonnez jamais car bientôt nous serons récompensés de nos efforts. Confucius disait « qu’il y a du gout en tout, mais il faut savoir l’extraire ». Et moi, j’ai toujours dit ceci : « je n’ai pas choisi d’être une personne handicapée, j’ai seulement eu de la chance, mon handicap m’a tout donné, il ne me reste que le minimum à lui offrir »
Et à l’opinion publique ?
Le problème des personnes en situation de handicap est transversal. Il touche tous les domaines et ne peut être résolu qu’avec la conjugaison des efforts de toute la communauté. Ce n’est pas facile mais ce n’est pas impossible. J’avais supposé qu’au Burkina Faso, par exemple, le fait de réserver 2% sur les bénéfices des richesses minières et par an, qui seront utilisés pour financer les projets de personnes en situation de handicap.
L’opinion publique doit également aider l’action gouvernementale sur tout le territoire du Burkina Faso, afin qu’ensemble, on arrive à traiter les besoins de tous, avec la même importance. Ce n’est pas parce que je suis une personne à mobilité réduite que mes problèmes ou besoins doivent être relayés au second plan. L’Etat est comme une mère de famille. Dans une famille où un enfant tombe malade ou est en difficulté, l’attention de la mère sera beaucoup plus attirée vers cet enfant, pas parce qu’il est le plus aimé ou le plus beau ou encore le plus intelligent, mais c’est dans le souci de lui permettre d’être au même niveau que les autres. Aider nous à nous en sortir. Une personne autonome est une société déchargée ; un aveugle, un sourd, un handicapé physique sans aide adaptée est synonyme de six personnes guidées. Pourquoi ? Chacun aura un guide qui ne sera pas instruit, ni autonome donc une charge pour la société !

Lefaso.net : Quelles sont vos attentes en tant que personne en situation de handicap ?

ST : Je veux simplement vivre, et vivre heureux. C’est tout ce que je demande. Pour cela, il me faut absolument un emploi et que cet emploi me permette de faire face à mes besoins, ensuite avoir un logement et avoir les moyens de pouvoir subvenir aux besoins de ma famille, surtout de ma maman qui a tant souffert pour moi. Si les bonnes volontés pouvaient m’aider à construire son restaurant, ça sera pour moi, le plus bel hommage pour tous ses sacrifices et sa patience.

Je terminerai ma vie en éditant ou écrivant un livre sur ma vie. J’aimerais aussi pouvoir participer à des conférences internationales, même à l’ONU et faire du plaidoyer partout sur l’amour du prochain et la nécessité d’une société plus inclusive, notamment sur les droits des personnes handicapées.

Tout être humain aimerait rendre heureux ses parents et par-dessus tout, sa maman. Je ne voudrais pas qu’ils s’en aillent sans pouvoir leur offrir ce minimum vital. J’en appelle donc à toutes les bonnes volontés de me permettre de réaliser mon rêve… Est-ce trop demandé ?

Balguissa Sawadogo
Pour Lefaso.net

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